Le Patriarche Abraham, illustre personnage faisant l›unanimité des religions monothéistes, a vécu une expérience très féconde, racontée dans les Ecritures Saintes et dont la version coranique est la suivante:
”Ainsi Avons-Nous montré à Abraham le royaume des cieux et de la terre, afin qu’il fût de ceux qui croient avec certitude“ (Coran 6/75) Cette expérience, pour «croire avec certitude», se passe en trois actes. 1er acte: «Quand la nuit l’enveloppa, il observa une étoile et dit: « Voilà mon Sei- gneur! ». Puis lorsqu’elle disparut, il dit : « je n’aime pas les choses qui disparaissent» (6/76). Dans cette étape, Abraham: 1- observe une étoile, 2- fait l›hypothèse que l›étoile est son dieu, 3- rejette l›hypothèse parce que la caracté- ristique de l›éternité d›un dieu n›est pas vérifiée. Ici, Abraham, dans sa quête de vérité, suit parfaite- ment le processus de la méthode scientifique décrite précédemment: observation, formulation d›une hypothèse par induction, rejet de l›hypothèse par déduction et on recommence l›expérience (Fig. 01). Fig. 01 : Etape 1 de la Démarche Abrahamique
2ème acte: «lorsqu’ensuite il observa la lune se levant, il dit: « Voilà mon Seigneur! ». Puis lorsqu’elle se coucha, il dit : « si mon Seigneur ne me guide pas, je serai très cer- tainement du nombre des égarés» (6/77). Dans cette étape, Abraham refait le cycle de la mé- thode scientifique mais tire une première conclu- sion: il n›aboutira pas à sa fin en suivant unique-
ment cette procédure. Celle-ci est certes nécessaire mais peut se répéter sans cesse à l’infini. C’est une situation indécidable au sens gôdelien du terme. Que faire ? Il ne trouve rien d’autre que d’exprimer le besoin (ressenti de son for intérieur) de guidance de « l›extérieur » de cette procédure (Fig. 02). Fig. 02 : Etape 2 de la Démarche Abraha- mique (apparition d’une première certitude, celle du besoin de guidance extérieure au « système d’observation d’Abraham»)
3ème acte: « lorsqu’ensuite il observa le soleil levant il dit: « Voilà mon Seigneur! », celui-ci est plus grand. Puis lorsque le soleil se coucha il dit: «Ô mon peuple, je désavoue l’association des co-dieux que vous faites. Je tourne mon vi- sage exclusivement vers Celui Qui A Créé les cieux et la terre et je ne suis point de ceux qui Lui donne des associés» (6, 78-79), (fig. 02) Dans cette étape Abraham est arrivé au bout de ses limites d›observation et de son raisonne- ment inductif: il se fixe sur le soleil qui est le plus grand en apparence. Mais voilà que ce même soleil ne répond pas au critérium de l›éternité, il en déduit qu›il ne peut faire l›objet d›une divinité. Abraham, par cet acte a touché au firmament de sa démarche. Son for intérieur est vidé de tout.
La Vérité s’est alors manifestée comme un éclair de « l’extérieur » pour éclairer les attentes de « l’intérieur » : ce n’est pas Abraham qui a atteint Le Seigneur de l’intérieur de son système d’observation, c’est plutôt Le Seigneur qui s’est révélé a lui par illumination.
6- Conclusion
L’expérience abrahamique, révélant le rapport interne-externe dans le cheminement vers la Certitude, est encore explicitée par une parole du Prophète Mohamed (sur lui salut et bénédiction):
« Allah a dit: Je réponds à la manière dont mon serviteur pense à Moi et Je suis avec lui quand il m’invoque,… S’il se rapproche de Moi d’un pouce, Je Me rapproche de lui d’un bras,…, s’il vient à Moi en marchant J’irai le rencontrer en courant »[1].
Ainsi les avancées spectaculaires de l’évolution des sciences en général, dont plus particulièrement les Mathématiques et leurs diverses applications, sont nécessaires comme l’eau l’est à la vie pour atteindre la Certitude.
Mais cela n’est pas suffisant autant que l’eau ne peut à elle seule suffire pour insuffler la vie.
C’est à la condition d’une manifestation externe, si l’on se réfère à l’expérience abrahamique, que le Premier de tous les débuts explorés en amont par les méthodes scientifiques et le Dernier de toutes les fins recherchées en aval également par ces mêmes méthodes, que l’on puisse avoir une réponse à nos interrogations.
Cette manifestation externe est généralement exprimée dans le langage courant de plusieurs façons, notamment lors d’une découverte qui apparait à la suite d’une longue et pénible recherche.
– Le plus souvent on dit : soudainement l’idée m’est venue. Comme ça !
D’où vient-elle cette idée? Comment s’est elle manifestée? On ne trouve pas de mot en général pour l’expliquer !
– Ou bien, c’est le fameux « Eureka ! Eureka ! » (rien que ça !) d’Archimède à la suite de sa découverte de la poussée qui porte désormais son nom. Comme la plupart des chercheurs au bout de leur peine, Archimède se trouve au moment de sa découverte dans un état euphorique, proche de l’état d’extase pascalien ou du ‘’Kachf’’ (dévoilement) ghazalien, puisqu’il sort de son bain pris par une folie de bonheur et de gaieté au point d’oublier de se rhabiller avant d’énoncer la bonne nouvelle !
– C’est le hasard dit-on qui joue un rôle important dans le processus de la découverte, un concours de circonstances ou par accident ! C’est encore la sérendipité, terme qui désigne la découverte fortuite de quelque chose qu’on ne cherchait pas, comme celle de la pénicilline par A. Fleming.
Là, le hasard est un Maitre Généreux, ne dit on pas en effet : « c’est le fruit du hasard »! Encore faut-il solliciter ce pseudo-maitre, car comme l’affirmait Louis Pasteur : « le hasard ne favorise que les esprits préparés».
Les exemples du genre précédent abondent dans l’histoire des sciences.
Jacques Monod, qui a reçu le prix Nobel de Médecine en 1965 avec F. Jacob et A. Lwoff pour leurs travaux en génétique, a essayé d’expliquer au grand public leur découverte comme celle de beaucoup d’autres, en écrivant un livre fort intéressant : « le hasard et la nécessité ». Malek Bennabi commenta ce livre dès sa sortie, devant ses élèves, dans sa demeure à Alger, en disant : « Dans les premières pages du livre c’est le scientifique qui parle, à partir de la quatrième c’est ma grand-mère qui parle !», voulant dire par là que le hasard a pris des proportions providentielles dans le livre.
Si rien n’est laissé au hasard, comme on est tenté de l’affirmer dans toute démarche scientifique, pourquoi alors donner autant de valeur au seul hasard, dans des découvertes grandioses qui ont parfois changé systématiquement la vie des sociétés humaines?
Dans ce contexte, la démarche abrahamique a au moins le mérite d’écarter complètement les contingences dues au seul hasard, de continuer inlassablement les recherches jusqu’à la limite des possibilités offertes et d’espérer au bout du compte une réponse venant d’ailleurs puisqu’aucune ne s’annonce à partir d’ici. C’est généralement cette attitude que prend tout chercheur, à la limite de ses efforts : l’espoir d’une idée venant d’ailleurs (ou du Ciel) qui puisse jeter la lumière sur son chemin !
Cette démarche est de plus salutaire, en ce sens qu’elle est médiane entre des extrêmes qui sont pour le moins contestables.
D’une part, il ne s’agit pas d’attendre l’apparition d’une découverte en se fiant à la guidance divine sans prendre aucune peine d’une recherche continue et laborieuse par les méthodes acquises et développées tout au long de l’histoire humaine, à la manière de ce bédouin qui demandait au Prophète : est ce que je me confie à mon Seigneur et laisser ma chamelle errer sur terre pour la retrouver après ? Le Prophète lui répondit en ces termes : « A’kilha thoumma tawakal ala Allah !»[2].
Là est une leçon prophétique sur les conséquences fâcheuses, pour le moins un déséquilibre d’une foi sans actes.
Par ailleurs, expliquer une découverte par le simple hasard est une autre forme de déséquilibre: celle d’un acte sans foi, niant complètement un éclair pouvant venir d’ailleurs, encore moins une guidance divine.
La recherche de La Vérité dans sa plénitude comme celle de La Certitude Absolue, dans les Mathématiques comme dans toutes les disciplines scientifiques, est subordonnée à une foi sans limite et des actes sans relâche.
Cela se traduit généralement par une forte détermination, une volonté de fer, une perspicacité et des efforts continus.
Encore faut-il prier comme le faisait Abraham au cours de sa démarche répétitive en quête de vérité. A la limite de ses peines et grâce à l’éclair venant d’en haut, il annonce à qui veut bien l’entendre: « je tourne mon visage exclusivement vers Celui Qui A Créé les cieux et la terre » car en définitive: «C’Est Lui Le Premier et Le Dernier, l’Apparent et Le Caché et Il Est Omniscient»[3].